En ce qui concerne le droit de garder le silence, mais l’obligation de donner le code d’accès de son G.S.M. (Cass. 4 février 2020, P.19.1086.N)

A l’ère actuelle du numérique, le cryptage des supports numériques comme les G.S.M. et les ordinateurs devient la règle plutôt que l’exception. En conséquence, les autorités qui sont confrontées à de telles clés se trouvent dans une position délicate et se pose la question de savoir si elles peuvent obliger un suspect à révéler son code d’accès ou non ?
Selon les termes de la loi, c’est possible. L’article 88 quater, §1 du Code d’instruction criminelle prévoit après tout que le juge d’instruction peut ordonner à toute personne (y compris un suspect) qui est soupçonnée d’avoir une connaissance particulière d’un système informatique faisant l’objet d’une enquête ou des systèmes de sécurité et de cryptages utilisés, de fournir des informations sur son fonctionnement ou sur l’accès à celui-ci. Celui qui ne coopère pas est punissable sur base du même article 88 quater, §3 du Code d’instruction criminelle.

Nonobstant ce texte législatif très clair, la jurisprudence belge reste divisée sur ce point. Si certaines cours et certains tribunaux ont sanctionné le refus du suspect de communiquer la « clé », d’autres considèrent qu’une telle application de l’article 88 quater, §1 et §3 du Code d’instruction criminelle viole le droit de ne pas s’auto-incriminer et le droit de garder le silence.
La Cour d’appel de Gand s’est également prononcée à cet égard le 15 octobre 2019, en exonérant le prévenu de toutes poursuites pour avoir refusé de divulguer le code d’accès de son téléphone portable au juge d’instruction.

Le procureur général a formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt et a finalement obtenu gain de cause le 4 février 2020 (P.19.1086.N).
Selon la Cour de cassation, l’incrimination et la répression d’un suspect sur pied de l’article 88 quater, §1 et §3 du Code d’instruction criminelle ne constituent pas une violation du droit de ne pas s’auto-incriminer et du droit au silence tels qu’ils sont consacrés, entre autres, par l’article 6.2 de la CEDH et les articles 14.2 et 14.3. du PIDCP. Selon la Cour, ces droits ne sont pas absolus et visent principalement à éviter que des déclarations inexactes soient obtenues sous la contrainte. Etant donné que le code d’accès à un système informatique existe indépendamment de la volonté de la personne qui en a connaissance, la simple communication du code ne crée pas, selon la Cour, de risque de non-fiabilité des preuves matérielles.

Au vu de ces considérations, la Cour de cassation a apporté cette clarté tant attendue sur une problématique qui a fait grand débat, non seulement au sein des cours et tribunaux, mais aussi dans la doctrine. La Cour de cassation suit désormais la tendance qui était déjà celle de la doctrine, selon laquelle les suspects peuvent être obligés à communiquer les clés de décryptage. Ceux qui refusent, en ce compris les suspects, sont en effet punissables, du moins s’il est établi qu’ils connaissaient les clés et donc qu’ils ont délibérément ignorés l’ordre de les communiquer.

Néanmoins, se pose la question de savoir combien de temps durera cette sécurité juridique. Après tout, une question préjudicielle est actuellement pendante devant la Cour constitutionnelle. L’article 88 quater du Code d’instruction criminelle qui réglemente la communication d’informations (§1) et la collaboration (§2) au décryptage pourrait éventuellement contenir une inégalité car, selon cette règlementation, le juge d’instruction peut obliger toute personne à fournir des informations sur le cryptage du système informatique (obligation d’information sur base de l’art. 88 quater, §1 CiC), tandis que la loi prévoit explicitement que le suspect ne peut pas être contraint au décryptage (art. 88 quater, §2, al. 2 CiC).

En d’autres termes alors que le législateur ne voit aucun problème à demander simplement au suspect de donner la clé s’il a une connaissance particulière du système faisant l’objet de l’enquête ou du cryptage utilisé, il a considéré que l’obligation de collaborer du suspect au décryptage était contraire au droit de garder le silence et de ne pas s’auto-incriminer.

Pour l’instant, cette règlementation est approuvée par la Cour de cassation. Mais cela restera-t-il ainsi ?

© Patrick Waeterinckx et Julie Petersen

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